COMMISSION DES NORMES COMPTABLES

Avis CNC 2012/9 – Le traitement comptable de l’acquisition d’une immobilisation à un prix variable en fonction d’un évènement futur et incertain ayant un lien direct avec l’avantage que présente l’actif acquis pour la société

Avis du 6 juin 2012

Introduction

Dans le présent avis, la Commission des Normes Comptables se prononce sur le traitement comptable de l’acquisition d’une immobilisation à un prix comportant une partie variable en fonction de la survenance d’un évènement futur et incertain. 

Le fait pour une entreprise d’acquérir des immobilisations à un prix qui comporte d’une part, une partie fixe à régler lors de la conclusion du contrat, et d’autre part, une partie variable à régler plus tard et qui est fonction d’un évènement futur et incertain (p. ex. un certain pourcentage de la partie du bénéfice d’exploitation à affecter à l’actif acquis), peut soulever plusieurs questions. Faut-il inscrire la partie variable du prix à l’actif ou doit-elle, par contre, être directement comptabilisée à charge de l’exercice? Et si la partie variable du prix doit être portée à l’actif, comment alors l’amortir?

Dans le cadre de la problématique susvisée, la Commission a déjà exposé certains principes dans ses avis CNC 126/91  et 126/102 . Ces principes seront repris et précisés dans le présent avis, qui abroge et remplace les avis 126/9 et 126/10.

Portée de l’avis

De l’avis de la Commission, les opérations par lesquelles des immobilisations sont acquises à un prix comportant, pour une partie au moins, une quotité variable en fonction de la survenance d’un évènement futur et incertain, ne portent pour ainsi dire jamais sur des immobilisations corporelles, même s’il n’est pas à exclure que cette catégorie d’immobilisations fasse, elle aussi, l’objet d’ententes sur des prix variables.

En revanche, ces opérations sont courantes en cas de cession d’immobilisations incorporelles. Plus souvent que dans le cas d’immobilisations corporelles, la valeur économique d’immobilisations incorporelles est davantage déterminée par l’utilité qu’elles présentent pour l’entreprise qui les possède, que par un prix de marché objectif.

Des ententes sur des prix variables sont également pratique courante en cas d’acquisition d’immobilisations financières. Dans le cadre de l’acquisition d’une entreprise, il sera en effet souvent difficile de déterminer la valeur des actions. En prévoyant un prix partiellement déterminé par le bénéfice futur de l’entreprise acquise, la valeur réelle de celle-ci peut être intégrée dans le prix de manière plus objective.

Le présent avis a dès lors une portée générale et s’applique à toutes les immobilisations, qu’elles soient amortissables ou non.

Par ailleurs, la Commission tient à souligner que le traitement comptable commenté dans le présent avis ne s’applique que dans la mesure où les paiements de prix variables (effectués à l’occasion de l’acquisition d’une immobilisation) sont déterminés par un évènement futur et incertain ayant un lien direct avec l’avantage que présente l’actif pour la société-acquéreur. 

Traitement comptable

 Activation du prix variable à l’acquisition des immobilisations

Généralités

De l’avis de la Commission, il y a lieu d’entendre par immobilisations les éléments du patrimoine d’une entreprise destinés à être utilisés de façon durable à l’exercice de l’activité3  et susceptibles de générer un avantage économique futur4 . Par conséquent, seules les charges dont le caractère d’investissement est établi peuvent être portées à l’actif.

En revanche, les charges qui ont un lien direct avec les produits immédiats d’un exercice déterminé doivent être comptabilisées à charge de cet exercice, conformément au principe de rapprochement des charges et des produits (« matching principle »), puisque ces charges ne génèrent pas un avantage économique futur pour l’entreprise. Comme le caractère d’investissement de ces charges n’est pas établi, elles ne peuvent pas être portées à l’actif. 

Application au prix variable payé à l’acquisition d’immobilisations

Également lorsque, pour l’acquisition d’une immobilisation, le prix payé est variable, ces charges devront être inscrites à l’actif, si elles présentent un caractère d’investissement.

En revanche, lorsque le prix variable est directement lié aux produits qui se rapportent à un seul exercice, ce prix variable doit directement être comptabilisé à charge du compte de résultats de cet exercice. Selon la Commission, il arrivera très rarement que le prix variable payé à l’acquisition d’une immobilisation, ne présente pas un caractère d’investissement. La Commission envisage la situation où une entreprise acquiert une immobilisation à durée juridique déterminée (p.ex. une concession conclue pour une période de 10 ans) pour laquelle l’acquéreur doit payer pendant toute la durée de vie de l’actif le même prix variable (p.ex. un supplément de prix durant 10 ans qui s’élève à 25% du produit d’exploitation de l’entreprise-acquéreur). Dans ce cas, la charge, à savoir le prix variable, sera directement liée aux produits de l’exercice. Puisque cette charge ne générera plus d’avantages futurs pour l’entreprise, elle ne pourra pas être portée à l’actif comme immobilisation et devra être comptabilisée directement à charge du compte de résultats.

Il appartient toujours à l’organe d’administration de déterminer, sur base de la situation concrète et des éléments spécifiques du contrat, si le prix variable payé à l’acquisition d’une immobilisation présente un caractère d’investissement ou non. Les exemples ci-dessous n’ont dès lors, aucune portée générale. Ils sont présentés à titre purement exemplatif.

Exemple 1

Une société acquiert toutes les actions d’une autre société à un prix composé comme suit :
 

  • un montant fixe, payable à la signature du contrat de vente;
  • un montant, à payer en quatre tranches les 31 décembre 20X0, 20X1, 20X2 et 20X3;
  • et un supplément de prix à payer en mai 20X1 et 20X2 s’élevant à 30% du bénéfice d’exploitation respectivement des exercices 20X0 et 20X1, à attribuer à la société acquise.

Une clause du contrat prévoit en outre que le total des montants payés en mai 20X1 et en mai 20X2 ne peut en tout état de cause dépasser un montant déterminé.

De l’avis de la Commission, les écritures à passer sont les suivantes :
 

  • le montant fixe, payable à la signature du contrat de vente est porté à l'actif du bilan sous les immobilisations financières;
     
  • le montant payable en quatre tranches les 31 décembre 20X0, 20X1, 20X2 et 20X3 est également aussitôt porté à l'actif du bilan sous la même rubrique. Simultanément, une dette d'un montant nominal équivalent est inscrite au passif, inscription qui s'accompagne, le cas échéant, par application de l'article 77 en combinaison avec l’article 67 de l’AR C.Soc., de l'inscription en comptes de régularisation de l'actif et de la prise en résultats prorata temporis, d'un escompte calculé au taux du marché.

Quant au paiement en mai 20X1 et 20X2 de 30 % du bénéfice d'exploitation respectivement des exercices 20X1 et 20X2, à attribuer à la société acquise, la Commission estime qu'il s'agit en l'occurrence de charges dont le caractère d’investissement est explicitement établi, puisque ces parties variables du prix sont payées si une condition suspensive est remplie, à savoir la réalisation d'un bénéfice d'exploitation par la société acquise. Cela signifie qu’en cas de réalisation d’un bénéfice d’exploitation, ces charges correspondent incontestablement à des avantages économiques futurs. Ces charges devront par conséquent être portées à l’actif. Les parties variables ne sont pourtant dues que si une condition suspensive est remplie, à savoir la réalisation d’un bénéfice d’exploitation par la société acquise. Aussi la Commission est-elle d'avis qu'il n'y a pas lieu d'enregistrer une dette ni de majorer le prix d'acquisition des actions acquises aussi longtemps que cette condition n’est pas remplie. L’article 25, § 3 AR C.Soc. prévoit que l’existence d’une pareille dette conditionnelle doit faire l’objet d’une mention appropriée dans l'annexe.

Exemple 2

Une société (un établissement horeca) acquiert le 1er janvier 20X0 de la ville ABC une concession d’une durée de 5 ans pour exploiter un bistro sur la place du marché. Elle doit payer à cet effet un prix composé comme suit :
 

  • un montant fixe, payable à la conclusion du contrat;
  • un supplément de prix à payer en mai 20X1, 20X2, 20X3, 20X4 et 20X5. Le montant correspond à un certain pourcentage du chiffre d’affaires de la société pendant la durée de la concession : les exercices 20X0, 20X1, 20X2, 20X3 et 20X4.

Dans le présent exemple également, le montant fixe payé à la conclusion du contrat sera porté à l’actif du bilan sous les immobilisations incorporelles et amorti.

De l’avis de la Commission, les montants que la société devra payer chaque année si la condition suspensive, à savoir la réalisation du chiffre d’affaires, est remplie, constituent des charges qui doivent être directement comptabilisées à charge du compte de résultats de l’exercice dans lequel le chiffre d’affaires a été réalisé.

Exemple 3

Une société A acquiert toutes les actions d’une société B qui est active dans le secteur des médias (productions des radiotélévisions). Juste avant la vente de celles-ci, la société B a introduit auprès des autorités compétentes un dossier pour l’obtention d’une licence radio. La société A a payé pour l’acquisition des actions de la société B un prix fixe de 13.000.000 euros. Il a cependant été convenu avec le vendeur des actions que la société A paiera un supplément de prix unique de 1.400.000 euros au cas où la société B obtiendrait la licence radio. 

Dans le présent exemple, il est clair que le prix variable payé par l’acquéreur présente un caractère d’investissement, puisque ce prix variable sert à compenser le potentiel économique de la société B qui existe déjà au moment de l’acquisition des actions et qui se matérialise au moment où la licence est obtenue. En outre, le prix variable à payer par la société A correspond aux revenus futurs qui résulteront de l’obtention de la licence (p. ex. des recettes publicitaires). Le prix variable de 1.400.000 euros doit par conséquent être porté à l’actif sous les immobilisations financières au moment où la société B obtient la licence radio.

Amortissement des immobilisations à durée de vie déterminée acquises moyennant un prix comportant (en partie) une tranche variable qui dépende d’un évènement futur et incertain

Quant à l'amortissement des immobilisations acquises pour un prix variable, il convient de rappeler que les articles 45, 1er alinéa, 59, 61, §1, 1er alinéa et 64, §1, 1er alinéa de l’AR C.Soc. imposent la prise en charge du coût des investissements à durée d'utilisation limitée, répartie selon un plan approprié, sur la durée d'utilisation probable du bien en cause. Ces dispositions, jointes au principe que les actifs sont portés dans les comptes à leur valeur d'acquisition, s'opposent à une prise en charge entière du coût de ces investissements au fur et à mesure qu'il acquiert un caractère certain. 

Par ailleurs, il est évident que l'entreprise dispose de l'immobilisation en cause dès le moment où elle en a la jouissance; c'est à dater de ce moment que la durée probable de son utilisation doit être estimée; c'est sur cette durée que la prise en charge du coût de celle-ci par la voie d'amortissements échelonnés doit être répartie. Cette durée d'utilisation est inhérente à l'actif en cause et est, de manière générale, indépendante du prix payé et de l'échelonnement éventuel du paiement de ce prix. Il en résulte qu'un amortissement échelonné sur un nombre d'années fixe, prenant chaque fois comme point de départ la date de naissance de l'obligation de paiement échelonné du prix, ne serait pas conforme avec la notion d’ « amortissement » telle qu'elle est consacrée par l’AR C.Soc.

Dans la mesure où l'entreprise opte pour un régime d'amortissement linéaire, l'application de la règle susvisée conduira, dans le cas d'une durée d'utilisation ou d'utilité probable de dix ans, à amortir la première tranche sur dix ans, la seconde sur neuf ans, et ainsi de suite.

Il y a toutefois lieu d'être attentif au fait que, dans ce cas, la politique d'amortissement se traduit par des amortissements d'un montant progressif actés tout au long de la période initiale au cours de laquelle le prix à payer s'accroît, pour se stabiliser ensuite si la période d'amortissement est plus longue. C’est dire que les amortissements sont les plus faibles en début de période au moment où, normalement, la productivité de l'immobilisation est la plus élevée. Sous l'angle du droit comptable, l'entreprise a la faculté d'éviter cette conséquence en optant pour une méthode d'amortissement dégressif.  

Exemple 4

En 20X0, une société A reprend d’une société B une concession d’une durée juridique de 10 ans. La société A paie 300 pour la concession. La concession est amortie sur une période de 10 ans conformément à un plan établi à cet effet.

Par ailleurs, il est encore convenu avec la société B que l’acquéreur A paiera pendant les quatre exercices consécutives à l’année de l’achat un supplément de prix qui s’élève chaque fois à 10 % du chiffre d’affaires de l’exercice précédent. Le chiffre d’affaires réalisé par la société au cours de ces exercices s’élève à 270 en 20X0; 320 en 20X1; 140 en 20X2; et 360 en 20X3.

Dans le présent exemple, les parties variables du prix présentent un caractère d’investissement évident. La concession a en effet une durée de 10 ans, mais le prix variable ne doit être payé que pendant les quatre premiers exercices. Les parties variables en question sont par conséquent directement liées à l’acquisition de l’actif et doivent dès lors être incluses dans la valeur d’acquisition de la concession. Elles sont prises en charge par la voie d’amortissements sur la période d’amortissement restant à courir de l’actif. 

Dans le cas d’espèce, l’évolution des amortissements actés relatifs à la concession se présentera comme suit : 

  Prix fixe: 300  Prix variable de
20X1: 27
Prix variable de  20X2: 32  Prix variable de  20X3: 14   Prix variable de  20X4: 36 Amortissement annuel
Année 20X0  305         30
Année 20X1 30 36        33
Année 20X2  30 3 47     37
Année 20X3 30 3 4 28   39
Année 20X4 30 3 4 2 69 45
Année 20X5 30 3 4 2 6 45
Année 20X6  30 3 4 2 6 45
Année 20X7  30 3 4 2 6 45
Année 20X8  30 3 4 2 6 45
Année 20X9  30 3 4 2 6 45
Total des amortissements           409

Correspondance entre le traitement comptable des biens acquis contre rente viagère et l’activation du prix variable payé à l’occasion de l’acquisition d’une immobilisation

 La Commission a été saisie de la question à savoir si l’activation des parties variables du prix, payées à l’occasion de l’acquisition d’une immobilisation et présentant un caractère d’investissement, est conforme au traitement comptable de biens acquis contre rente viagère, comme le prescrit l’article 40 AR C.soc.

Aux termes de cet article, la valeur d'acquisition de biens acquis contre rente viagère s'entend comme étant le capital nécessaire, au moment de l'acquisition, pour assurer le service de la rente, augmenté le cas échéant du montant payé au comptant et des frais. 

Il a été fait valoir que, tant à l’acquisition d’un actif à un prix comportant une partie variable qu’à l’acquisition d’un actif contre rente viagère, le prix d'acquisition est placé dans la dépendance d'un élément incertain au moment de l'acquisition.

De l'avis de la Commission, l’acquisition d’un actif à un prix variable présente certes des éléments de similitude avec l’acquisition d’un actif contre rente viagère, mais les deux situations ne sont toutefois pas identiques. Dans le cas de la rente viagère, l'élément d'incertitude porte sur la survie effective du bénéficiaire de la rente, soit sur un élément extrinsèque à la valeur économique objective du bien. Quelle que soit la période durant laquelle la rente sera servie, la valeur économique du bien sera la même pour l'entreprise. Dans le cas de l'acquisition d'un bien moyennant un prix variable en fonction de son rendement pour l'entreprise, l'élément d'incertitude porte sur un élément intrinsèque du bien: sa valeur économique pour l'entreprise, estimée par le biais de son influence sur la rentabilité de celle-ci. Cette différence quant au fond justifie un traitement différent sous l'angle comptable: dans le premier cas l'incertitude se traduit dans un compte de provisions au passif du bilan et dans les variations de ce compte; dans le second cas, elle concerne la valeur pour laquelle le bien est porté à l'actif.

Le présent avis remplace les avis 126/9 et 126/10.
 

  • 1Avis CNC 126/9 – « Acquisition d'une immobilisation pour un prix comportant une partie fixe payable au comptant, une partie fixe à payer de manière échelonnée et une partie variable dépendant du bénéfice d'exploitation réalisé », Bull. CNC, n° 30, février 1993, 10-11.
  • 2Avis CNC 126/10 – « Immobilisation acquise pour un prix variable dépendant du bénéfice ultérieur du cessionnaire », Bull. CNC , nr. 30, février 1993, 17-19.
  • 3Article 15, al. 2 de la Quatrième directive CE du 25 juillet 1978, JO L 222 du14 août 1978, p. 11-31.
  • 4Pour la reconnaissance d’un actif, l’IASB propose dans la section 98 du Cadre de préparation et de présentation des états financiers les critères suivants: “Un actif est comptabilisé au bilan lorsqu’il est probable que des avantages économiques futurs iront à l’actif a un coût ou une valeur qui peut être évalué de façon fiable.
  • 5Le prix fixe est amorti sur 10 ans, c.-à-d. 300 : 10 = 30.
  • 6Le prix variable est amorti sur 9 ans, c.-à-d. 27 : 9 = 3.
  • 7Le prix variable est amorti sur 8 ans, c.-à-d. 32 : 8 = 4.
  • 8Le prix variable est amorti sur 7 ans, c.-à-d. 14 : 7 = 2.
  • 9Le prix variable est amorti sur 6 ans, c.-à-d. 36 : 6 = 6.