COMMISSION DES NORMES COMPTABLES
Avis CNC 106/4 - Clause de réserve de propriété - Pacte commissoire exprès - Traitement comptable

Au cours de la discussion au Parlement du projet de loi réglant l'opposabilité de la clause de réserve de propriété et du pacte commissoire exprès1 ,2 , le Gouvernement a, sur proposition de la Commission de la Justice de la Chambre des Représentants, saisi la Commission d'une demande d'avis relative aux implications que l'adoption du projet précité pourrait avoir, sous l'angle de la traduction, dans la comptabilité et les comptes annuels du vendeur comme de l'acheteur, des opérations de ventes assorties de ces clauses contractuelles. La teneur de cet avis est reproduite ci-après. 

Dans la mesure où le projet précité a pour objet unique de rendre opposable aux tiers, en cas de concours ou de faillite, la clause de réserve de propriété et le pacte commissoire exprès - sans toucher aux effets entre parties de ces clauses contractuelles - la seule question qui se pose est celle de la publicité à assurer par les comptes annuels à ces situations. 

En effet, quant au fond, le mode de comptabilisation des opérations et leur traduction dans les comptes sont déterminés par les relations entre parties; leur opposabilité aux tiers ou la date à laquelle cette opposabilité intervient n'entre en principe pas en ligne de compte à cet égard3

Quant à l'information des tiers, l'arrêté royal du 8 octobre 1976 prévoit dès à présent que doivent être mis en évidence dans l'annexe des comptes annuels de l'entreprise qui les détient, au même titre que les actifs frappés d'un droit de gage, les actifs assortis d'une réserve de propriété en faveur d'un tiers vendeur (annexe, état XVII.A.2). 

Une mention similaire n'est pas exigée à l'heure actuelle en ce qui concerne les avoirs acquis en exécution d'un contrat assorti d'une clause résolutoire expresse. Comme le jeu de cette clause affecte avec effet rétroactif l'existence même du contrat, on devra s'interroger, une fois le projet adopté, sur la nécessité ou l'opportunité de compléter, sur ce point, de manière explicite l'arrêté du 8 octobre 1976. 

Les tiers créanciers du vendeur n'ont en revanche aucun intérêt à ce que les comptes annuels de celui-ci fassent mention de la faculté dont il dispose d'invoquer la résiliation contractuelle du contrat ou de se prévaloir du droit de propriété qu'il s'est réservé. Ces dispositions contractuelles ne font en effet que conforter son droit de créance porté à l'actif du bilan, sans s'y ajouter. 

La Commission n'a pas entendu limiter son examen aux conséquences que la consécration légale de l'opposabilité aux tiers de ces clauses aurait sur la mise en évidence de celles-ci dans les comptes annuels. Elle a cru opportun d'expliciter le mode de traduction dans les comptes des opérations assorties de telles clauses. 

EN CE QUI CONCERNE LA VENTE ASSORTIE D'UNE CLAUSE RESOLUTOIRE EXPRESSE 

Elle a pu constater qu'aucune discussion ni controverse n'existe en ce qui concerne l'influence d'une clause résolutoire expresse sur le traitement comptable de l'opération de vente qu'elle concerne. 
Il n'est pas discuté qu'une vente assortie d'une telle clause est parfaite et qu'elle produit tous ses effets. En particulier, le bien vendu entre en propriété dans le patrimoine de l'acheteur; en contrepartie, le vendeur acquiert une créance à concurrence du montant du prix ou du montant restant dû sur celui-ci. La vente dégage dans le chef du vendeur un résultat. L'opération donne lieu en règle générale à la débition soit du droit d'enregistrement, soit de la T.V.A. 

En cas de mise en oeuvre, par le vendeur impayé, de la clause résolutoire, c'est le contrat lui-même qui, comme le souligne l'Exposé des Motifs du projet, est résolu avec effet rétroactif. Le bien retourne dans le patrimoine du vendeur original; la dette de l'acheteur original est annulée. Les versements effectués doivent être restitués sous réserve de la débition de dommages-intérêts; le résultat acté doit être annulé. 

La traduction de cette vente et de sa résolution dans la comptabilité et les comptes annuels des deux parties suit tout naturellement le statut civil des deux phases inverses qui se succèdent. Elle ne soulève difficulté, sous réserve des problèmes de chevauchements d'exercices. 

EN CE QUI CONCERNE LA VENTE AVEC RESERVE DE PROPRIETE 

La réponse est, à première vue, moins évidente en ce qui concerne la vente avec réserve de propriété. Le traitement de cette opération dans les comptes doit-il privilégier l'aspect «vente» ou doit-il retenir à titre premier le non-transfert de la propriété ? Dans la première optique, le vendeur porte à l'actif de son bilan la créance du prix et non plus le bien ayant fait l'objet de la vente. De ce fait le résultat afférent à la vente est acté au moment de la livraison ou de la facturation et non pas au moment ultérieur où le prix sera intégralement payé. L'acquéreur, quant à lui, acte l'entrée du bien dans son patrimoine en contrepartie de la dette du prix. La réserve de propriété est actée dans le chef de l'acquéreur en comptes d'engagements, au même titre qu'une sûreté. 

L'adoption de la seconde optique impliquerait que le vendeur maintienne le bien à son actif et ne dégage le résultat de l'opération qu'au moment où l'acquéreur aura apuré tous ses engagements envers lui. La créance du prix ne pourrait en ce cas être portée à son bilan et les paiements partiels qu'il recevrait devraient être traités comme des acomptes. L'acquéreur ne pourrait dans ce cas porter le bien à son actif ni corrélativement acter à son passif la dette du prix. Aussi longtemps que le transfert de propriété n'aurait pas lieu, les versements partiels qu'il opérerait devraient être considérés comme revêtant le caractère d'acomptes. 

A l'examen, seule la première optique peut être retenue. A l'appui de cette thèse on retiendra notamment les éléments suivants : 

  1. Elle correspond à la volonté des parties qui ont en vue à titre premier et principal de réaliser un achat/vente et non de maintenir le bien dans le patrimoine du vendeur. Du fait du contrat de vente, l'essentiel des attributs économiques du bien est transféré à l'acquéreur. En revanche, le vendeur est démuni de la plupart des effets de la propriété.
  2. La réserve de propriété est considérée de part et d'autre non pas comme l'objet du contrat mais comme une «sûreté» visant à garantir le paiement du prix. Le droit pour le vendeur de reprendre possession du bien dépend du défaut de paiement du prix par l'acquéreur. Il revêt dès lors un caractère accessoire.
  3. La seconde thèse conduirait à une description par les comptes annuels du patrimoine du vendeur et de l'acheteur, entièrement divorcés de l'intention des parties et de la réalité économique; elle donnerait naissance à une présentation à la limite entièrement faussée. 
  4. Par l'obligation qu'il impose à l'acheteur d'un bien acquis moyennant réserve de propriété, de mentionner cette circonstance dans l'annexe des comptes annuels, au même titre que les actifs grevés d'un gage, l'arrêté royal du 8 octobre 1976 a tranché la question dans le sens de la première branche de l'alternative. 
  5. Cette même solution est retenue dans les deux pays étrangers où l'opposabilité aux tiers de la réserve de propriété a été consacrée légalement, soit en France et en République Fédérale d'Allemagne. 
  6. C'est aussi dans ce sens que l'opération est considérée dès à présent en Belgique sous l'angle fiscal. 

La Commission a en outre pu constater que la solution retenue ci-dessus est entièrement cohérente avec la traduction dans les comptes des entreprises des opérations de location-financement, prévue par l'arrêté royal du 8 octobre 1976 et confirmée sous l'angle de l'application des impôts sur le revenu par l'arrêté royal n° 48 du 22 juin 1982. 

Ces législations consacrent le principe que malgré le fait que le bien, objet du contrat de leasing, soit et reste la propriété du donneur, cette opération s'analyse comme un crédit se traduisant par une créance dans le chef du donneur et par une dette dans le chef du preneur. 

 

  • 1Par pacte commissoire exprès, on entend la clause insérée dans un contrat stipulant expressément la résolution du contrat en cas d'inexécution par l'un des contractants de ses obligations et réglant les conséquences de cette résolution; celle-ci opère, par définition, avec effet rétroactif au moment de la naissance du contrat.
  • 2Doc. Parl. Chambre n° 930/1, 1983-1984 du 4 mai 1984, 1.
  • 3Avis 3/1 publié par la Commission dans son Bull. CNC, n° 15 d'octobre 1984, 1.