Avis C106/1 - Avis relatif à la consolidation horizontale en association avec des bureaux d’administration

La Commission a été saisie d’une question relative à l’obligation imposée à un groupe de sociétés de procéder à une consolidation horizontale. Dans le cas d’espèce, trois sociétés holding belges (A, B et C) dont chacune  dispose de filiales, dépassent individuellement les critères prévus par l’article 16 C.Soc., ce qui en règle générale implique pour chacune d’elles d’établir, en leur qualité de société-mère, des comptes consolidés et un rapport de gestion sur les comptes consolidés. Ces sociétés ont chacune la forme d’une société en commandite par actions. Chacune d’elles est administrée par un autre gérant statutaire personne morale ; la société A par la SPRL X, la société B par la SPRL Y et la société C par la SPRL Z. Conformément au prescrit de l’article 61, § 2, alinéa 1 er, C.Soc ., les gérants ont désigné chacun un représentant permanent personne physique. Pour  la SPRL X, il s’agit de Madame P; pour les SPRL Y et Z, il s’agit de son époux, Monsieur Q. 

Cependant, les actions de chacune des trois sociétés holding belges ont été logées, par l’application de la technique de certification, dans une fondation privée néerlandaise opérant comme  « AdministratieKantoor (AK) ». Chacune de ces AK est administrée par les époux P et Q. Dans les trois cas, les certificats émis sont détenus en propriété par les seuls époux.

La question dont la Commission a été saisie, visait à savoir si, comme elles sont toutes placées sous une direction unique, l’ensemble des trois sociétés holding belges constitue un consortium. Selon l’article  10, § 1er, il y a " consortium " lorsqu'une société et une ou plusieurs autres sociétés de droit belge ou étranger, qui ne sont ni filiales les unes des autres, ni filiales d'une même société, sont placées sous une direction unique. 

Tout d’abord, référence doit être faite à la réglementation néerlandaise. Il ressort des informations obtenues des collaborateurs du Raad voor de Jaarverslaggeving, que le droit néerlandais qualifie, lui aussi, la fondation AK de véhicule particulier. En vertu des conditions d’administration (la convention de certification), l’AK ne dispose pratiquement jamais de la propriété économique des actions qu’il détient. Le pouvoir de disposition revient en effet aux porteurs. En l’occurrence, la fondation est “vide”. En droit néerlandais, les participations sont portées au bilan à leur coût (nihil) ou “pour mémoire”, avec en regard la valeur des certificats. Les fondations seront dès lors qualifiées de « petites ». L’on relèvera qu’aux Pays-Bas, les petites entreprises sont exemptées de l’obligation de consolidation et de contrôle. L’analyse sera dès lors basée sur l’absence d’une obligation de consolidation dans le chef des trois AK néerlandais, que ce soit individuellement ou dans leur ensemble. 

Ensuite, il y aura lieu de déterminer si les trois sociétés holding belges sont placées sous une direction unique. Le Code des sociétés définit la notion de direction unique par référence à une présomption soit réfragable, soit irréfragable. Une société est présumée, de manière irréfragable, être placée sous une direction unique lorsque la direction unique de ces sociétés résulte de contrats conclus entre ces sociétés1  ou de clauses statutaires, ou, lorsque leurs organes d'administration sont composés en majorité des mêmes personnes (C. Soc., art. 10, § 2). Des sociétés sont présumées, sauf preuve contraire, être placées sous une direction unique, lorsque leurs actions sont détenues en majorité par les mêmes personnes (C. Soc., art. 10, § 3). 

  1. Une première approche consiste à examiner la question de savoir si la circonstance que, dans les trois cas de figure, chaque AK est administré par les mêmes gérants est un élément suffisant pour pouvoir conclure à une présomption irréfragable de direction unique. Pour pouvoir invoquer la présomption irréfragable visée à l’article 10, § 2, 2°, C.Soc.,  il doit s’agir sensu stricto de l’organe d’administration des trois sociétés A, B et C  soumises à l’obligation d’établir des comptes consolidés2 . Or, la composition de l’organe d’administration n’est pas identique dans les trois sociétés. En revanche, si l’on tient compte de la désignation,  conformément à l’article 61, § 2, al. 1er, C. Soc., du représentant permanent, celui-ci s’avère être la même personne pour les sociétés B et C. Etant donné que le seul administrateur permanent des SPRL Y et Z est la personne physique Q, il est fort probable,  de l’avis de la Commission, que  les sociétés B et C, mais seulement celles-ci, soient placées sous une direction unique. Dès lors et dans la mesure où la présence d’un seul représentant permanent personne physique au sein des deux organes d’administration permet de conclure à l’identité des deux organes, la Commission estime que la présomption irréfragable visée à l’article 10, § 2, 2°, C. Soc., peut être invoquée.  Même si, en règle générale,  chaque organe d’administration est appelé à rendre compte à une assemblée d’actionnaires différente, la circonstance que les actions de chacune des sociétés holding sont, par la voie des certificats logés dans les bureaux d’administration,  détenues par les mêmes actionnaires, constitue à son avis un élément décisif dans le cas d’espèce.  
     
  2. Une deuxième approche peut s’appuyer sur la présomption réfragable visée à l’article 10, § 3, C. Soc., qui stipule que des sociétés sont présumées être placées sous une direction unique, lorsque leurs actions sont détenues en majorité par les mêmes personnes. Sans doute le législateur vise-t-il par cette présomption que les actions de sociétés différentes doivent être détenues par les mêmes personnes physiques ou des personnes morales autres que des sociétés3 .  Dans le cas d’espèce, il y a lieu de tenir compte des dispositions de l’article 7, C. Soc. Ainsi que la Commission l’avait déjà souligné dans son avis 178/1 relatif aux aspects comptables de la certification des titres émis par des sociétés commerciales4 , dans le système légal actuel, belge et européen , le contrôle est lié de façon irréfragable à la détention du droit de vote, mais il y a lieu d'avoir égard, au-delà de la personne qui dispose du droit de vote, à la personne pour le compte de laquelle, en vertu d'une convention, le droit de vote est exercé. Lors de la certification de titres, le droit de vote revient toujours par essence à l'émetteur des certificats, propriétaire des actions. Il convient toutefois de se demander si celui-ci exerce son droit de vote pour compte propre ou pour le compte d'une autre personne à qui il doit être imputé. Pour déterminer qui détient le contrôle après une opération de certification, il conviendra donc d'examiner pour le compte de qui le droit de vote détenu par l'émetteur de certificats est exercé. Cet examen devra se faire au cas par cas sur la base de la recherche de la commune intention des parties telle qu'elle résulte de la convention de certification ainsi que, le cas échéant, de l'ensemble des conventions qui y sont étroitement liées. De l’avis de la Commission,  la convention de certification pouvant, dans le cas d’espèce, être qualifiée de «convention d'effet équivalent», les trois AK peuvent être considérés chacun comme une personne  servant d'intermédiaire au sens de l’article  7, § 2, C. Soc. Tout converge pour montrer que les certificats des trois AK sont chaque fois détenus par les époux P et Q et que l’organe d’administration est dans chaque cas composé des mêmes personnes. De l’avis de la Commission, il sera difficile de produire  la preuve contraire visée à l’article  10, § 3, C. Soc., en raison du fait que les certificats sont toujours détenus par les mêmes personnes physiques.

Se basant sur cette seconde analyse, la Commission est d’avis que, conformément au droit belge, et dans l’hypothèse où les trois AK de droit néerlandais ne procèdent pas à l’établissement de comptes consolidés, les trois sociétés holding se trouvent placées sous une direction unique. Par conséquent et de l’avis de la Commission, l’article 111, C.Soc., s’applique. Il stipule qu’en cas de consortium, des comptes consolidés doivent être établis, englobant les sociétés formant le consortium ainsi que leurs entreprises filiales. Chacune des sociétés formant le consortium est considéré comme une société consolidant. L'établissement des comptes consolidés et du rapport de gestion sur les comptes consolidés ainsi que leur publication incombent conjointement aux sociétés formant le Consortium.

  • 1 Cette condition sera rarement satisfaite. Il est en effet plutôt rare que deux sociétés ou plus conviendraient entre elles de se placer sous une direction unique, d’autant plus que la mise en place d’un contrat de ce type se heurterait à de nombreuses objections légales. Il sera tout aussi rare de pouvoir conclure, sur la base de clauses statutaires, à une présomption d’existence d’une direction unique. (BYTTEBIER, K., "art. 5 -13 W.Venn.", In X., Vennootschappen en verenigingen. Artikelsgewijze commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, Begrip controle over een vennootschap, Kluwer, losbladig, p. 43 -45).
  • 2Par souci de précision, signalons que les règles prévues par l’article 7, C. Soc., s’appliquent uniquement pour la détermination du pouvoir de contrôle.
  • 3BYTTEBIER, K., op. cit.
  • 4Bull. CNC, n°. 47, mai 2002, p. 45.