COMMISSION DES NORMES COMPTABLES

Avis CNC 112-1 - Amortissements accélérés

Le régime temporaire d'amortissements, au gré du contribuable, de certains investissements en biens d'équipement, introduit par la loi du 29 novembre 1977, a soulevé de très nombreuses questions d'interprétation tant sous l'angle du droit fiscal que sous celui du droit comptable1

Sous l'angle fiscal on se référera à la circulaire de l'administration des contributions directes en date du 31 janvier 1978 (circ. n° Ci. RH 421/290.379)2

Sous l'angle du droit comptable, les questions posées portaient principalement sur la licéité d'amortissements dépassant les amortissements économiquement nécessaires, sur la notion de «plan» d'amortissement, sur le traitement dans les comptes annuels des amortissements en cause. Ces questions ont été élargies aux systèmes fiscaux d'amortissements accélérés (amortissements dégressifs et amortissements linéaires doublés). Elles ont conduit la Commission à évoquer auprès du Gouvernement l'opportunité d'une dissociation des amortissements comptables et des amortissements fiscaux. 

Aux termes de l'arrêté du 8 octobre 1976, les immobilisations corporelles et incorporelles doivent faire l'objet d'amortissements, selon un plan établi par l'organe d'administration, en vue de répartir le coût d'acquisition de ces immobilisations sur leur durée d'utilisation probable par l'entreprise. Ce plan doit répondre aux critères de prudence, de sincérité et de bonne foi; son exécution ne peut être placée dans la dépendance du résultat de l'exercice3

A ce régime d'amortissements justifiés sous l'angle économique, l'arrêté du 8 octobre 1976 apporte toutefois un tempérament : il autorise la mise en oeuvre d'un plan d'amortissements accélérés, conformément aux dispositions fiscales en la matière (article 28, § 2). 

L'insertion de cette disposition a été dictée tout directement par le souci d'assurer la neutralité fiscale de la réforme comptable. Elle visait à permettre, lors même que leur application conduirait à des amortissements temporairement excessifs, l'adoption de plans accélérés prévus par la réglementation fiscale. A l'époque de la promulgation de l'arrêté, étaient visés par là l'amortissement dégressif (article 49 du C.I.R.) et l'amortissement linéaire doublé (article 15, § 1er, loi du 30 décembre 1970 sur l'expansion économique)4

L'alignement, en l'occurrence, du droit comptable sur le droit fiscal tenait compte de la condition, traditionnelle dans notre pays, que pour être fiscalement admis, les amortissements doivent être traduits dans les comptes annuels. 

La loi précitée du 29 novembre 1977 a introduit dans le droit fiscal la notion nouvelle «d'amortissement au gré du contribuable». S'agissant d'une loi qui visait à promouvoir les investissements privés par l'introduction d'aménagements fiscaux à caractère temporaire, cette notion ne pouvait manifestement couvrir que des amortissements dépassant les amortissements économiques justifiés et calculés selon d'autres critères que ceux prévus en matière d'amortissements dégressifs et d'amortissements linéaires doublés. En d'autres termes, compte tenu de l'économie du régime fiscal en vigueur en matière d'amortissements de biens d'équipement, cette disposition pouvait difficilement s'interpréter comme visant simplement à supprimer des limitations qui auraient existé quant à la déductibilité fiscale d'amortissements justifiés au sens de la réglementation comptable. 

En revanche, cette disposition ne pouvait aucunement s'interpréter comme autorisant - à l'encontre des dispositions de l'arrêté royal du 8 octobre 1976 - et ce même dans un but fiscal, la non-constatation de ces amortissements économiquement justifiés ou nécessaires et imposés à ce titre par la réglementation comptable. 

Une double question d'interprétation s'est posée quant à l'application combinée de l'admissibilité fiscale des amortissements au gré du contribuable consacrée par la loi précitée et de la règle déposée dans l'arrêté du 8 octobre 1976 limitant la prise en charge des amortissements - autres que ceux qui sont justifiés sur le plan économique - à ceux qui résulteraient d'un plan d'amortissements accélérés conforme aux dispositions fiscales en la matière : 
 

  1. L'amortissement immédiat et intégral (voire à concurrence de 110 %) des biens d'équipement en cause, est-il compatible avec l'exigence d'un plan, fût-il accéléré, d'amortissements ? 
  2. L'admissibilité au regard de la réglementation comptable des amortissements effectués selon un plan accéléré conformément aux dispositions fiscales peut-elle être invoquée sur base de la loi du 29 novembre 1977, en l'absence de décision au départ, relative aux critères d'échelonnement de la charge de l'amortissement ? 

Quant à la première question, la Commission a émis l'avis suivant : 
 

  1.  Dans l'article 28 de l'arrêté royal du 8 octobre 1976 qui admet la mise en oeuvre sous l'angle du droit comptable des «plans d'amortissements accélérés conformes aux dispositions fiscales en la matière» l'accent tombe sur la notion d'accélération des amortissements par rapport à leur échelonnement économiquement justifié. 
    A l'époque où ce texte a été rédigé, la réglementation fiscale ne connaissait à ce titre que le régime des amortissements dégressifs et le régime des amortissements doublés; l'un et l'autre impliquant un étalement sur plusieurs exercices, le terme «plan» a été introduit. Le texte de l'article 28 ne fait toutefois pas référence explicite à ces deux systèmes; il a été rédigé dans des termes généraux, afin de couvrir les différentes techniques d'accélération des amortissements fiscalement admis, qui pourraient être introduites dans la réglementation fiscale et qui auraient pour but ou pour effet principal d'apporter aux entreprises un allégement de trésorerie par un report de décaissements fiscaux, report consécutif à l'anticipation des charges d'amortissements fiscalement admises par rapport à l'exercice au cours duquel elles seraient économiquement justifiées. 
     
  2.  Il n'appartient pas à la Commission de se prononcer sur l'admissibilité, sous l'angle fiscal, d'un amortissement immédiat et intégral. Dans la mesure toutefois où une telle prise en charge immédiate et intégrale est admissible au regard du droit fiscal, elle l'est également dans l'état actuel des textes au regard du droit comptable. Elle répond, poussée à la limite dans un régime à caractère temporaire justifié par des préoccupations de relance économique, à la politique qui a été à la base des systèmes d'amortissements dégressifs et d'amortissements doublés, et tendant à reporter la charge pour les entreprises des décaissements fiscaux. 

Quant à la seconde question, il y a lieu de souligner tout d'abord que si les travaux préparatoires de la loi du 29 novembre 1977 ainsi que la politique de relance économique dans laquelle son adoption s'inscrivait, motivent l'adoption d'amortissements accélérés, à la limite d'amortissements immédiats, ni l'un ni l'autre ne permettent de supposer que le législateur ait entendu autoriser que dorénavant les amortissements ne répondent plus à une idée de système et de logique et, qu'au gré du contribuable, ils revêtent dorénavant un caractère erratique. Rien ne permet davantage de supposer que le législateur ait entendu déroger aux règles fondamentales déposées dans l'arrêté du 8 octobre 1976, en vertu desquelles les amortissements échelonnés doivent répondre à un plan et qu'ils ne peuvent être placés dans la dépendance du résultat. 

L'exigence d'un plan ne se rattache pas à un système déterminé. Il peut être linéaire; il peut être dégressif; il peut être lié à des critères objectifs, tels que l'intensité de l'utilisation du bien ou le volume de la production. Tous ces systèmes - arrêtés au gré du contribuable - sont admissibles au regard de l'arrêté sur les comptes, pour autant qu'ils correspondent soit à l'échelonnement de la répartition du coût d'acquisition du bien sur sa durée probable d'utilisation, soit à un système d'amortissements accélérés admis fiscalement. 

En revanche, ne pourrait être considérée comme compatible avec l'arrêté relatif aux comptes annuels, la décision de l'organe d'administration de l'entreprise d'arrêter chaque année les dotations d'amortissements à constituer ou la décision d'effectuer chaque année les amortissements nécessaires et de fixer, en outre, chaque année, en fonction du résultat, de considérations fiscales ou d'éléments extrinsèques, le montant des amortissements complémentaires à effectuer. 

En vertu de l'article 19, alinéa 2 de l'arrêté, les amortissements doivent être constitués systématiquement sur base des méthodes arrêtées par l'organe d'administration; ils ne peuvent dépendre du résultat de l'exercice. Cette disposition n'exclut pas que, dans la détermination de plans accélérés d'amortissements et dans les choix relatifs aux systèmes et aux taux de cette accélération, l'organe d'administration tienne compte des perspectives de rentabilité de l'entreprise. 

Diverses questions ont été posées à la Commission sur le point de savoir si, dans la mesure où ils dépassent les amortissements économiquement justifiés, les amortissements actés à raison de leur déductibilité fiscale, peuvent ou doivent être imputés aux charges extraordinaires plutôt qu'aux résultats d'exploitation. Une telle situation peut résulter d'un régime d'amortissements dégressifs, d'amortissements linéaires doublés ou d'amortissements ad libitum. 

La Commission a tout d'abord souligné que l'application du régime fiscal de l'amortissement dégressif ou de l'amortissement linéaire doublé ne peut être considérée comme conduisant nécessairement à acter des amortissements excédant ce qui est économiquement justifié. 

Il ne saurait dès lors être question d'imposer l'imputation sous les résultats extraordinaires, de tous amortissements dépassant les dotations linéaires. 

Il est des cas toutefois où les amortissements admissibles sous l'angle fiscal, et, à ce titre, sous l'angle comptable, dépassent manifestement les amortissements économiquement justifiés. Telle est d'ailleurs l'intention clairement exprimée par le législateur notamment dans les travaux préparatoires de la loi du 29 novembre 1977. En ce cas, et à concurrence de cet excédent, les amortissements constitués revêtent économiquement et à titre temporaire5  le caractère des réserves immunisées à affectation spéciale. 

Il s'ensuit qu'à due concurrence ces dotations n'ont, économiquement, pas davantage leur place sous les charges extraordinaires que sous les charges d'exploitation; dans l'état actuel des textes elles doivent toutefois, pour répondre aux conditions de déductibilité fiscale, être actées au titre d'amortissements dans le compte de résultats. 

La Commission a dès lors, en réponse aux questions posées, fait valoir que, dans l'état actuel des textes, l'inscription de ces amortissements excédentaires sous les charges extraordinaires peut effectivement se recommander mais n'est pas imposée par le texte6 . D'où l'importance que revêt l'obligation de donner dans l'annexe, en application de l'arrêté, une description précise des méthodes et des rythmes d'amortissements pratiqués, accompagnée d'un commentaire approprié sur les conséquences chiffrées des politiques arrêtées.

 

  • 1Cf. notamment les questions parlementaires n° 37 du 22 décembre 1977 du Sénateur Lutgen, n° 41 du 5 janvier 1978, du Sénateur De Clercq, n° 43 du 11 janvier 1978 du Sénateur Croux. 
  • 2Bulletin des Contributions, n° 562, Mai 1978, p. 688. 
  • 3Ces immobilisations doivent de plus faire l'objet d'amortissements complémentaires lorsque, en raison de leur altération ou des modifications des circonstances économiques ou technologiques, leur valeur comptable dépasse leur valeur d'utilisation par l'entreprise.
  • 4Sans préjudice de la faculté de procéder à l'amortissement des frais d'acquisition, à charge de l'exercice au cours duquel ils ont été exposés.
  • 5A titre temporaire, car ces affectations perdent économiquement le caractère de réserves immunisées pour revêtir celui d'amortissements, au fur et à mesure que prend fin l'anticipation des amortissements actés par rapport aux amortissements économiquement justifiés.
  • 6Les amortissements excédentaires constituent, sous l'angle technique, une prise en compte anticipée de charges afférentes à des exercices ultérieurs; à ce titre, ils ne sont pas couverts par les termes précis de la définition des résultats extraordinaires prévue par l'arrêté (résultats afférents à des exercices antérieurs - résultats de nature exceptionnelle).